Il faut faire appel à son regard d'enfant pour apprécier l'art
C'est une médiatrice culturelle qui le dit, et voici des pistes pour y parvenir!
Allô! Bienvenue dans cette infolettre flambant neuve!
Tout d’abord, MERCI de soutenir Sous la fibre, d’écouter le podcast, de partager et d’interagir avec mon contenu, et désormais de me lire ici! C’est infiniment précieux pour moi de savoir que mon travail et la voix des artistes résonnent. On en parlera un autre jour, mais maudit que c’est un défi de développer un projet, seule, contre vents et marées. J’exagère, mais c’est pas toujours confortable. Alors vos commentaires, vos petits coeurs, vos likes, vos encouragements sont comme de gros câlins qui me donnent toute la force.
Ensuite, laissez-moi vous présenter sous forme de liste ce que je vais aborder dans cette infolettre mensuelle :
Je vais vous jaser de mes épisodes de podcasts, mais aussi de leurs coulisses!
Je vais parfois vous présenter des artistes que j’apprécie et vous pointer leurs réflexions et leurs contextes de travail.
Je vais vous parler de créativité, de processus créatifs.
Je vais vous faire part également de mes coups de cœur/suggestions culturels, que ce soit des livres, films, expos ou autres œuvres qui font du bien.
Je veux aussi me permettre d’être moi-même, d’oser vous partager des bribes de réflexions - souvent en lien avec le milieu artistique et la création sous toutes ses formes. Sans quitter de vue ma mission de mettre en lumière le champ des arts visuels, notamment celui du Québec, je vais aborder des sujets qui m’interpellent.
Je souhaite que cette infolettre soit interactive, récolter vos avis, vos témoignages, faire évoluer le balado avec vous, peut-être même littéralement! (allô les artistes qui me lisent).
Ok, passons aux choses « sérieuses ».
Le nouvel épisode de Sous la fibre est disponible sur toutes les plateformes d’écoute! J’y parle de médiation culturelle avec la brillante et passionnée Hélène Gruénais, médiatrice et artiste visuelle. Vous la connaissez peut-être sous le pseudonyme Youloune, elle fait des dessins à la fois simples et touchants.
Dans l’épisode, Hélène et moi abordons ce qu’est la médiation culturelle, en milieu muséal, mais pas uniquement, ses différents outils, son champ d’action, et mon invitée qui a exercé ses fonctions au Centre Phi et à la Fondation Louis Vuitton (entre autres!) offre plusieurs exemples concrets.
Elle nous donne surtout un conseil précieux : celui de laisser tomber un peu nos œillères d’adultes lorsqu’on regarde de l’art. Hélène voit beaucoup de valeur dans la candeur des enfants. C’est ce regard naïf et curieux, dénué de préjugés, de sérieux, de stress et de biais, qu’il est pertinent de convoquer lorsqu’on s’apprête à visiter une exposition.
C’est vrai qu’on a tendance à désenclencher le mode curieux et qu’on peine alors à plonger dans une œuvre, peu importe sa nature d’ailleurs, sculpture comme pièce de théâtre. On est pris dans le tourbillon du travail, des tâches à faire, et si on n’est pas tout de suite happé·e, on passe à autre chose, on trouve ça plate, stupide ou laid.
Ça m’arrive aussi d’avoir la sensation que certaines pièces sont muettes. C’est correct, ça fait partie de l’expérience artistique, il est légitime d’être attiré·e par ce que nous aimons et connaissons, mais parfois ce n’est pas un réel manque d’intérêt, mais plutôt une déconnexion. Le premier symptôme de cette déconnexion c’est selon moi la pensée binaire automatique « j’aime/j’aime pas ».
N’oublions pas que l’art a aussi pour fonction de nous déconditionner, nous déstabiliser, alors enrichissons nos expériences.
Un ouvrage qui donne des pistes pour dialoguer avec l’art
Dans le livre Regarder une oeuvre d'art et aimer ça, l’historienne de l’art Véronique Antoine-Andersen indique que 9 secondes, c'est en moyenne le temps accordé à une œuvre par les visiteurs de musées. Et selon la spécialiste, ce n’est pas parce qu’on manque de connaissances en art qu’on ne peut pas bien observer.
« Regarder une oeuvre est une expérience incarnée qui se pratique à la première personne et engage votre être tout entier », relève-t-elle. Ainsi, bien qu’on ne puisse pas toucher les œuvres (la plupart du temps), ni les sentir ou les gouter, Véronique Antoine-Andersen pense que l’art de voir s’acquiert avec un entraînement conscient et régulier.
Regarder une œuvre n’est pas une activité passive et pour la pratiquer, elle développe tout au long de son essai la technique de la « cérémonie du regard ». Je vous résume ce qu’elle explique :
L’appareil photo : dans cette première phase, notre regard est tellement concentré qu’il se substitue à la lentille de l’appareil photo (qu’on essaye de ne pas sortir). On fait cheminer nos yeux dans les moindres recoins avec l'œil qui voit - et non pas l'œil qui sait, au profit d’une expérience sensible plutôt qu'intellectuelle. On répertorie les particularités de l’oeuvre afin d’immortaliser une image mentale de celle-ci.
Le dialogue silencieux : il fait accepter que nous n’avons pas accès au processus interne du ou de la créatrice, seule demeure l'œuvre. S’il semble impossible d’interpréter entièrement une œuvre (existe-t-il d’ailleurs une seule interprétation possible?), l’experte nous incite à engager un dialogue avec elle, dont nous possédons les réponses à travers notre expérience, notre affect, nos connaissances, notre imagination. Les questions engagées dans cette seconde phase concernent le regardeur autant que l'œuvre. En voici quelques-unes que j’aime bien : quels sont les cinq mots qui définissent cette œuvre? Où situez-vous son centre névralgique? Dans quel endroit de l'œuvre auriez-vous envie de demeurer? À quelles sonorités vous fait-elle penser? Ressentez-vous une forme de mouvement?
Vous avez l’impression que tout ça, c’est ne rien faire? Votre cerveau serait un peu fâché que vous le sous-estimiez ainsi! Apparemment, l’expérience artistique génère dans le cerveau l’enclenchement du système limbique (les émotions) et du cortex frontal (la raison). C'est de la job ça!
Comment solliciter son regard d’enfant? (le mot magique ici c’est cu-rio-si-té, la gang!)
Quelques pistes de mon propre cru pour mettre en pratique la méthode qu’Hélène Gruénais favorise.
Contemplez la nature formelle de l’œuvre. Observez les couleurs, la forme, la texture, les ombres, attardez-vous sur des détails, les symboles, les effets, la noirceur et la luminosité. Est-ce que ce sont les couleurs qui vous attirent le plus? Qu’est-ce qui semble le plus surprenant, le plus étrange, le plus agréable? Et si ça ne l’est pas, pourquoi? Dans le cas d’une performance artistique, on peut s’interroger de la même manière sur l’ambiance créée autour de l’artiste qui performe, son accoutrement, son visage, les objets utilisés, etc.
Prenez du recul… ou bien avancez-vous! Parfois, ça change tout. Est-ce que l'œuvre que je voyais de loin dans la salle se transforme lorsque je m’en rapproche? Avais-je manqué des détails? Soyez curieux·ses et ne vous contentez pas d’une observation statique (c’est pour les adultes ça!), vous avez le droit de vous mouvoir dans l’espace.
Faites comme si vous n’aviez jamais rien vu auparavant! JE SAIS, moi-même je suis the queen of trouver des liens entre toutes. Mais vous ferez des rapprochements plus tard. Prenez ne serait-ce qu’une poignée de secondes pour mettre votre regard à neuf. Souvent, c’est en oubliant de désenclencher le mode analyse qu’on finit avec des pensées du style « on dirait du Van Gogh, mais moins bien exécuté » ou encore « ouin, ça a l’air monochrome, c’est pas très excitant ». Je suis certaine qu’il y a des éléments dignes d’observation : des lignes de pinceau visibles, des formes déstabilisantes, des empâtements fascinants, une teinte intense, un détail qui nous fait penser à un élément de la vie quotidienne, etc. Et si c’était la première œuvre de ce genre que vous ayez vu dans votre vie? On s’amuse là, c’est pas si sérieux l’art.
Quelle est l’histoire derrière cette œuvre? Oh, le contexte. Si je pouvais, je ferais des épisodes de balado pour chaque œuvre/artiste qui me plait, mais, you know, le capitalisme. Trêve de plaisanterie, y’a-t-il un cartel, un texte de salle, un audioguide, un code QR à scanner, UN MÉDIATEUR·ICE pour nous raconter des choses sur l'œuvre et/ou l’artiste?! Parfois, il faut creuser. Et c’est le fun, car ça nous apprend à prendre le temps. Bien sûr, on ne peut pas faire ça avec toutes les œuvres, mais laissez votre intuition et le hasard vous guider. Un portrait qui semble banal peut parfois revêtir des secrets absolument captivants… D’ailleurs, vous pouvez également imaginer une histoire à travers l'œuvre, c’est probablement la meilleure façon d’engager un dialogue ludique et créatif avec l’art.
Entrez dans le monde de vos émotions. Que vous fait-elle ressentir? C’est plutôt positif, négatif, flou ou assez précis? Évoque-t-elle un souvenir pour vous, une personne, une odeur, une sensation physique, une saison, un moment de la journée? De quelle manière l'œuvre parle avec vous? Ça peut être de manière radicalement différente que la personne à côté de vous. Laissez la porte de votre sensibilité ouverte. N’oubliez pas qu’une œuvre a besoin d’êtres humains pour s’activer, mais qu’elle peut aussi vous inviter à plonger en vous, à sonder vos ressentis, du type « coudonc, pourquoi je me sens interpellée/attirée/ devant elle? Comme le mentionnait Jean-Pascal Fournier de la Galerie C.O.A. dans l’épisode sur le collectionnement, parfois, un dialogue se crée entre une personne et une œuvre, l’énergie est palpable dans l’air, ça ne s’explique pas, mais c’est bel et bien là.
Comme un sandwich, ça fait un retour sur le dernier épisode du podcast : les activités de médiation, que ce soit des visites guidées, discuter avec un médiateur·ice sur place, des ateliers de créations, des conférences, ne sont ni des activités réservées aux enfants (anyway, on a dit qu’on mettait à ON notre regard d’enfant, vous êtes pris avec ça désormais) ni réservées aux expert·es de la salle. Il y en a pour tout le monde et ça nous connecte à l’art.
Le musée possède une mission d’éducation et d’inclusion. Vous faites partie de tout ça.
Sur ce, je vous invite à écouter l’épisode :
PS : Si vous vous prêtez à l’exercice bientôt et que vos conclusions sont intéressantes, écrivez-moi… ;-)
Deux films :
La couleur de l’encre (2023) de Brian D. Johnson. Contemplatif, instructif, poétique.
Serendipity (2019) de Prune Nourry. L’artiste française Prune Nourry explore la thématique du corps à travers son art et suite à un diagnostic de cancer.
Un épisode de podcast : l’épisode de The Great Women Artists avec Kiki Smith. Pour le coup, cette artiste incontournable est, à l’aube de ses 70 ans, toujours aussi connectée à son enfant intérieure.
Un reportage : Immersion au coeur de la SAT, à écouter sur Savoir Média. La SAT est un espace montréalais de diffusion et de création des arts numériques incontournable, mais connaissez-vous son histoire?
Sept expositions et un événement artistique :
La peintresse de talent Rosalie Gamache présente l’expo solo Nos corps fluides à la galerie Duran Mashaal jusqu’au 3 octobre - plongez dans son univers dans l’épisode ou elle se raconte).
L’artiste visuelle Janna Yotte a récemment investi la sculpture, son expo Pour que ton âme veuille y rester est présentée jusqu’au 8 octobre à la Maison de la culture de NDG (elle retrace son parcours et sa démarche dans l’épisode )
Ne manquez pas non plus l’expo solo de la sculptrice de papier Karine Demers (qui est aussi passée sur le podcast) : Conversations d’alcôves et petits salons est présentée à la galerie Robertson Arès jusqu’au 30 septembre.
Trompez l’oeil, le 23 septembre : un événement multidisciplinaire d’une journée au sein d’un espace de diffusion assez inusité : une maison en plein coeur du Plateau. Au menu : performances, installations, tatouage et autres surprises.
Moridja Kitenge Banza : Habiter l’imaginaire à la Fondation Phi, jusqu’au 8 octobre : une expo en deux temps qui explore les dynamiques de pouvoir à travers la peinture et notamment l’installation Cycle à l’ironie percutante.
La peinture sera à l’honneur au Livart à travers l’expo collective Cruel to Be Kind/Les plus beaux cauchemars mise sur pied par Pictura. On aura notamment l’occasion d’y voir des toiles des artistes Muriel Ahmarani Jaouich, Véronique Chagnon-Côté, Nicolas Grenier ou encore GaHee Park.
À la galerie Wishbone, À moi seule réunit les toiles évocatrices de Magali Cazo et les photographies vaporeuses de Amielle Clouâtre pour un résultat enveloppant, sensoriel.
À la Fondation Grantham (Saint-Edmond-de-Grantham), l’expo Habiter le lieu de Pierre Thibault qui se situe à l’intersection de l’art, de l’architecture et de l’environnement. Jusqu’au 5 novembre.
D’autres suggestions en lien avec Momenta se trouvent juste ici.
Un livre : Bijou de banlieue par Sara Hébert. Un florilège féministe et délicieux de collages de vieilles publicités et de témoignages à la fois drôles, touchants et surprenants de Madame Bijou, coach de vie, afin de guider le lectorat dans sa quête de l’amour et du bonheur… ou presque. Un incontournable des derniers mois.
À bientôt!
J'adore ! Excellente lecture et savoureux conseils :)
Je dis oui à nourrir la curiosité! Je suis tombé par pur hasard sur ton infolettre et j'en suis ravie!