3 leçons que nous enseigne la performance
L'art c'est pas juste du divertissement, c'est aussi beaucoup de sages réflexions!
Allô! 👋
J’ai non pas diffusé un épisode depuis la dernière fois que j’ai pris la plume pour vous écrire, mais bien deux!
Ceci explique certainement que je m’extirpe de l’hiver avec de la fatigue dans le corps et la tête. Par contre, ai-je eu du plaisir à discuter avec 4 artistes pertinentes qui ont ouvert mes horizons? Affirmatif!
Marchons quelques pas en arrière. En février dernier, je me suis intéressée aux territoires intimes - au sens littéral, mais aussi figuré -, et au déploiement de ce thème protéiforme en art visuel.
Ça tombe bien, puisque ça fit avec la thématique de la biennale POST-INVISIBLE de cette année et que les deux artistes qui se sont exprimés sur le podcast exposent leurs œuvres poignantes Centre culturel Georges-Vanier jusqu’au 7 avril, dans le cadre de l’événement.
My Van Dam investit les sujets profonds du trauma intergénérationnel, du deuil et du chemin vers la guérison à travers des œuvres dont la symbolique frappe l’esprit et invitent à l’introspection. L’artiste pluridisciplinaire crée beaucoup avec sa soeur et sa mère, et s’adresse autant à la mémoire des individus qu’à celle du collectif. Sa prise de parole illumine même les tempêtes les plus sombres.
À travers des œuvres faites de broderie, de tissages et de collages textiles ornées de détails attirants et familiers, Tania Lara Casaubon conçoit des cartographies sensibles où les frontières s’érigent aux creux des souvenirs et des expériences, plutôt que de se limiter à la géographie traditionnelle. Les nouveaux territoires ludiques qu’elle imagine ouvrent la porte à un art participatif et des occasions de rêver en communauté!
C’est par ici pour les entendre :
On peut r’tourner vers l’avant désormais!
Il y a quelques jours, c’est un épisode sur la performance artistique que j’ai sorti, une discipline ô combien poétique, percutante, exaltante, et foisonnante de symboles.
L’artiste et professeure Hélène Doyon nous offre, en début d’épisode, plusieurs définitions pour apprivoiser ce champ disciplinaire qui peut même être qualifié d’anti-discipline artistique tant sa portée est vaste.
Et on ne se le cachera pas, la performance peut générer bien des craintes pour son public qui a parfois peur d’être interpellé. But guess what, cette interaction, c’est LA richesse d’une œuvre vivante non matérielle!
Ensuite, l’artiste Laurence Beaudoin Morin nous immerge dans sa pratique unique de la performance qui se cristallise autour de plusieurs thèmes stimulants : le collectif, le risque et les terrains vagues.
D’ailleurs, je suis très fière de vous annoncer que je co-présente la diffusion de son court-métrage Achronie, un film qui fait converger les trois éléments inexorables de sa pratique artistique, lors du Festival International du Film sur l’Art de Montréal (FIFA) le 15 mars prochain.
Évidemment, je lui ai offert de nous embarquer dans les coulisses de son tournage dans le dernier épisode.
Alors, ce mois-ci, je me suis inspirée de notre discussion pour explorer à ma guise des thématiques qui guident mes réflexions créatives en ce moment…
1. Nous avons une incidence sur le moment présent, et le moment présent a une incidence sur nous
Ouf. Ok. Cette phrase! Ça vous fait le même effet qu’à moi?
Quel rappel puissant que nous offre l’art : c’est ici que ça se passe. Dans le ressenti, dans l’intention, dans les gestes, maintenant. Là, là.
S’il est vrai que j’aime interroger le contexte de création, saisir toutes les subtilités et l’historique qui a mené un·e artiste à créer une œuvre, avec la performance, c’est le moment présent qui va venir sceller la direction qu’elle prendra.
Et contrairement aux arts de la scène où nous sommes confortablement assis·e sur notre chaise de velours, dans la pénombre, l’art performance nous convie à être au cœur de l’action. Le public n’est pas systématiquement invité à participer à la performance, mais il est souvent placé très proche de l’artiste.
La leçon plus grande que j’en tire? Nous sommes sans cesse dans la projection ou dans une forme de nostalgie. En mouvement vers l’avant, le regard vers l’arrière, mais pas immobile. Nous n’en avons pas profité que déjà nous sommes mélancoliques d’hier, de ce matin, de la dernière heure.
Alors cette notion d’incidence que relève Laurence, pour moi ça fait écho à celle d’implication. Soyons davantage impliqué·es dans notre moment présent. Connecté·es aux sensations.
***je vous raconte ça en essayant tant bien que mal de savourer le rayon de soleil qui me flatte le visage***
Selon mon invitée, la meilleure façon de recevoir et de vivre une œuvre de performance en tant que spectatrice ou spectateur, c’est l’ouverture et la confiance. Deux aptitudes qui se pratiquent sur le vif et requièrent une qualité de présence.
Quand on y pense, le temps présent, c’est la seule chose qu’on a. Et il n’y a rien de plus efficace que de créer ou de « consommer de l’art » pour surfer sur cette dimension temporelle. Citons l’exemple du coloriage pour s’ancrer, ou encore de la musique qui nous transporte autant qu’elle nous fait sentir vivant·e, et bien sûr les arts visuels qui parfois nous happent tellement l’impact est fort.
Bref, lâchez tout et profitez.
Mais finissez votre lecture avant, please!
2. Le goût du risque
Dans le dernier épisode, Laurence Beaudoin Morin reconnait que le risque est une notion versatile qui n’a jamais la même définition. Elle fluctue constamment. Elle diffère aujourd’hui de demain. Le risque n’est pas le même pour elle que pour une autre personne.
Quel risque n’osez-vous pas prendre? Ou bien quel risque traversé récemment mérite d’être souligné? Pour l’artiste performeuse, parler en public représente un plus grand danger que celui d’être en équilibre suspendue à une corde! Et sincèrement, je la comprends.

C’est la science qui le dit : nous n’avons pas le choix de sortir des sentiers battus, d'explorer de nouvelles idées et donc de prendre des risques pour stimuler notre créativité et trouver de nouvelles solutions et connexions (pssst : ma précédente infolettre portait sur la créativité et son tumulte). En étant spectatrice ou spectateur d’une œuvre de performance, le risque réside certainement dans l'inattendu.
Mais après le risque vient la gratification. Et pas le rush de dopamine immédiat et néfaste à long terme que l’on ressent quand on consomme de l’alcool par exemple, ou bien qu’on scroll sur les réseaux sociaux. Il s’agit plutôt d’une forme de fierté durable.
Le risque (contrôlé, on s’entend, pitchez-vous pas dans le vide sans parachute!), nous fait peut-être peur, car on ressent sa valeur.
Récemment, j’ai pris le risque de participer à un cours d’initiation de fabrication de papier à l’atelier retailles. Moi qui ne fréquente ni les vernissages ni les événements artistiques collectifs (ou alors en mode très low profile) à cause de mon anxiété sociale, j’y suis allée.
Moi qui considère n’avoir aucun talent manuel, j’ai pris ce risque.
Résultat? J’ai absolument tout adoré.
Déjà parce que l’équipe est la meilleure en ville (allô Sophie et Véronique!), mais surtout parce que ce risque était le pont qu’il me fallait traverser pour passer d’une croyance un peu poche sur moi (« je ne suis pas douée avec mes mains pour fabriquer des choses qui m’intéressent ») vers un plaisir pérenne (« mais quelles belles œuvres de papier significatives pour moi que je ramène chez nous! »).
Ça m’a donné du courage d’oser plus, d’accepter le risque comme inhérent à ma volonté de vivre une existence le fun.
Je DÉTESTE utiliser l’expression « sortir de sa zone de confort », mais tsé, c’était pas mal ça.
C’est quoi vous, votre dernier risque bravé qui en a valu la peine?
3. Considérer la vie comme un terrain vague
Dans l’épisode, Laurence Beaudoin Morin nous explique qu’elle pratique souvent la performance sur des terrains vagues, pour leur caractère transitoire, non défini. Pour le riche champ des possibles qu’ils ouvrent.
Mais le terrain vague fait désormais partie d’une perspective plus large et symbolique dans sa pratique artistique. Ainsi, tout peut devenir un terrain vague et donc être synonyme de liberté et de changement perpétuel.
Le terrain vague porte la trace de son vécu, mais celui-ci ne le définit pas pour l’avenir, tout est à reconstruire. Le sentier n’est pas balisé.
C’est ici que je vous avoue me sentir en ce moment comme un terrain vague. C’est pas le plus beau des paysages, faut se l’avouer. On sent qu’il s’est passé quelque chose auparavant, peut-être même que ce lieu déserté est encore empreint de tensions. C’est un lieu liminal à cheval entre l’abandon et la création.
J’ai récemment perdu mon emploi et ce que je considérais comme acquis, comme automatique, est désormais en friche. Je me sens de retour à la planche à dessin. Cette période de terrain vague m’invite désormais à sonder le temps présent pour prendre de futurs risques… Ah, vous voyez, toute est dans toute! 🥹
De plus, mon podcast Sous la fibre est aussi affecté par mes questionnements.
Je crois que parfois j’aimerais offrir des contenus qui sortent un peu de ce que j’ai fabriqué les 4 dernières années, sans avoir trouvé le courage de le faire. D’ailleurs, je suis fébrile à l’idée de vous envoyer aujourd’hui cet espèce d’interprétation plus personnelle et poétique de l’art… Aimez-vous ça?
Je crois donc qu’une pause s’impose à moi les prochaines semaines. Pour laisser la poussière tomber et voir ce qui émergera.
Une fois qu’une performance est terminée, elle continue de résonner, et peut-être même qu’elle se révèle à nous encore plus explicitement que lorsque nous l’avons vécu. Le recul est nécessaire.
Que vous soyez comme moi dans l’étrange et excitante opacité du terrain vague ou bien dans l’élan du risque à toute vitesse, je vous souhaite des moments propices à la (re)création.
Ah oui, et… écoutez donc l’épisode!
Je vous invite allégrement à participer au Festival International du Film sur l’Art de Montréal (FIFA) du 14 au 24 mars dans plusieurs salles, et évidemment de vous rendre à la séance Migrations où sera projeté le film Achronie de Laurence Beaudoin Morin.
Quelques expositions :
Tisser l’intime - Annie Tong Zhou Lafrance, Tania Lara Casaubon, My Van Dam, Vanessa Riera, au Centre culturel Georges-Vanier, du 29 février au 7 avril
Yiwen n uxxamiw (Une de mes Maisons) - Clara Tissot, à la galerie POPOP, du 14 mars au 5 avril
Ressac - Audrée Demers-Roberge à la Galerie C.O.A – 29 février au 30 mars
Exposition solo de Rebecca Munce à la Galerie McBride Contemporain – du 14 mars au 14 avril
Paula Rego exhibition book par Elena Crippa
Je m’envole pour le Portugal dans quelques jours, et laissez-moi vous dire que j’aime d’AMOUR Paula Rego! Je me suis donc plongée dans l’ouvrage qui a accompagné sa récente exposition monographique à la Tate.
Paula Rego est une artiste portugaise qui a observé droit dans les yeux les dynamiques d’oppression, de pouvoir et de sexisme à une époque où les femmes n’étaient absolument pas considérées dans leurs opinions.
Expressif, brut, insolent, intense, bigarré, parfois surréaliste, et toujours riche en détails, son art est percutant. Elle a notamment réalisé une série qui montrait des femmes avortant clandestinement lorsque ce droit n’était pas encore acquis au Portugal à la fin des années 1990.
Sa série Dog Woman, exécutée au pastel, est aussi très intéressante à analyser. Celle-ci représente des femmes adoptant des postures presque canines. À la fois humaines et animales, elles font écho aux thèmes de la féminité, la sexualité et la bestialité à travers leur comportement.
En fait, Paula Rego a désiré créer des personnages à la fois puissants et vulnérables, et nous amener à réfléchir à la soumission autant qu’à la dévotion des femmes dans la société.
C’était aussi une façon pour elle de représenter des femmes autrement que dans la docilité, la douceur, la beauté, le calme, la sensibilité, l’immobilité. Ses personnages féminins vivent, elles sont imparfaites, puissantes, abimées, complexes, déterminées, enragées.
J’admire Paula Rego. Selon moi, elle est l’une des seules artistes à avoir véritablement réussi à engendrer des scènes où la douleur, la complexité des émotions, la laideur de certains pans de la vie humaine, mais aussi la lutte prennent tout leur sens. Son travail résonne encore aujourd’hui.
J’espère de tout coeur visiter le musée qui expose une partie de ses œuvres à Cascais, la Casa das Histórias.
Bon vent, amusez-vous!
Full intéressant ! J'ai beaucoup aimé le ton plus personnel 🧡